Résister à la censure éducative et l’homophobie archaïque

7 novembre 2011 par Maïa Laisser une réponse »

(Ceci est la version longue d’un article paru dans le journal Résister #6)

Résister#6

LA POLÉMIQUE

Lors de la dernière rentrée scolaire, une polémique a éclaté au sujet de certains manuels scolaires de 1ère Littéraire et de 1ère Économique et Sociale, tout d’abord à l’initiative d’associations catholiques, puis reprise par certains députés UMP. Il est reproché à ces manuels d’introduire la « théorie du genre » dans le chapitre 3, intitulé « Corps humain et santé ». Le bulletin officiel du 30/09/2010 donne des explications quant à ce que les élèves doivent acquérir comme connaissances : la section « Devenir homme ou femme » invite les professeurs à saisir « l’occasion d’affirmer que si l’identité sexuelle et les rôles sexuels dans la société avec leurs stéréotypes appartiennent à la sphère publique, l’orientation sexuelle fait partie, elle, de la sphère privée ». C’est à partir de ces indications que les éditeurs de manuels Hachette, Hatier et Bordas ont rédigé leurs chapitres.

Pour comprendre ce qui dérange dans ces manuels, il faut regarder de plus près leur contenu.

  • Chez Hatier, dans la section « Devenir homme ou femme », on peut lire : « il est possible de caractériser à différentes échelles un individu de sexe masculin ou de sexe féminin, mais l’identité sexuelle peut être aussi influencée par des facteurs sociaux ».
  • Chez Hachette, dans la même section, on peut lire un extrait d’un manuel de sexologie : « seul sexe bien établi, le sexe biologique nous identifie mâle ou femelle mais ce n’est pas pour autant que nous pouvons nous qualifier de masculin ou de féminin ».
  • Enfin chez Bordas on trouve une section appelée « Identité sexuelle et orientation sexuelle » avec un sous-titre « L’identité sexuelle ou identité de genre ». On parle dans cette section de « conditionnement social » et on peut lire que « chacun apprend à devenir homme ou femme selon son environnement, car on ne s’occupe pas d’un petit garçon comme d’une petite fille ».

CACHEZ CETTE SCIENCE QUE JE NE SAURAIS VOIR

Afin de bien comprendre ce qui gêne les associations catholiques et les députés, il faut également comprendre ce que recouvrent les études sur le genre et ce que l’on appelle « genre ». Le « genre » c’est ce que l’on pourrait appeler le « sexe social », c’est-à-dire le fait de se sentir « femme » ou « homme », contrairement au « sexe biologique » qui, lui, nous définit en tant que « mâle » ou « femelle ». Les études sur le genre sont un champ de recherche qui regroupe un très grand nombre de disciplines, dont l’histoire, la sociologie, l’anthropologie, l’économie et bien d’autres, et qui se questionne entre autres sur les rapports entre genre et sexe biologique — influence de l’un sur l’autre — et sur les rapports sociaux sexués, c’est-à-dire régis par cette notion de « genre » — différence de comportement des individus selon le sexe de leur interlocuteur, par exemple.

Contrairement à ce que peuvent dire certains députés, les études sur le genre ne définissent pas les hommes ou les femmes en tant que « pratiquants de certaines formes de sexualité ». Les études sur le genre proposent de se questionner sur le rapport « sexe social » / « sexe biologique ». À travers cette réflexion intervient la question de l’orientation sexuelle mais celle-ci est traitée en lien et avec le « genre » et avec le « sexe biologique ».

Ce qui fait peur ici, c’est probablement la remise en cause de nos préjugés qu’invitent à faire les études sur le genre. En effet, penser l’identité sexuelle comme sociale, comme étant construite par la société et non en lien direct avec l’identité biologique implique une remise en cause importante des normes. Ce qui est généralement caractérisé comme féminin ou masculin pourrait ne pas être issu de la biologie mais d’une construction sociale par exemple.

Ce qui peut faire peur aussi, c’est de montrer que l’identité sexuelle est sociale, qu’elle n’est pas biologique et que donc que chaque personne a le droit de choisir son orientation sexuelle.

CE QUI NOUS POSE PROBLÈME

Cette polémique reflète plusieurs problèmes et soulève plusieurs questions.

  • La laïcité de l’école publique est-elle menacée ? On voit bien ici que les associations catholiques ont eu une grande influence sur certains députés UMP puisqu’ils ont à leur tour écrit une lettre au ministre de l’éducation demandant de retirer les manuels scolaires faisant référence à la théorie du genre.
  • Le sort réservé aux sciences sociales est plus qu’inquiétant. Parler des études sur le genre comme des « théories fumeuses », c’est discréditer complètement les sciences sociales et nier leur caractère éminemment scientifique, au même titre que les sciences dites « dures », comme la biologie par exemple. Rappelons également qu’il n’appartient nullement aux politiques de juger du caractère scientifique des objets, des méthodes ou des théories — qu’ils semblent d’ailleurs avoir du mal à comprendre.
  • Et enfin, le plus grave, c’est que l’on se refuse de parler de réalités, de choses qui sont, et depuis très longtemps, pointées du doigt, voire niées, comme ici : la liberté de choisir son orientation sexuelle, ou le fait de montrer qu’il y a des choses qui tiennent du biologique – le sexe de naissance – et d’autres qui sont éminemment sociales – le comportement des individus par exemple. Remettre en cause certaines normes, montrer que les comportements des individus, leurs caractères, sont influencés par le social, c’est déjà faire un pas vers l’anti-sexisme. Dire que l’orientation sexuelle est quelque chose que l’on choisit et qu’elle relève du domaine privé, faire d’ailleurs un point sur la loi, c’est un pas vers la lutte contre l’homophobie et toutes les autres formes de discrimination liée à l’orientation sexuelle.

Quand on sait que la stigmatisation dévalorisante de l’homosexualité tue les jeunes (le taux de suicide chez les jeunes homosexuels est treize fois plus important que chez les hétérosexuels) et que c’est par l’éducation que l’on peut combattre l’homophobie, il est grand temps de préférer une démarche éducative, scientifique et raisonnée à un combat religieux moraliste d’arrière-garde.

QUAND LA SCIENCE REJOINT LE FÉMINISME

Le seul intérêt de cet acharnement à imposer des différences sociales entre les sexes est de présenter comme naturelle une division hiérarchique inégalitaire imposée. Alors qu’effectivement la science rejoint ici le féminisme : l’une démontre que la nature ne fait pas le destin des êtres humains, l’autre qu’il faut se battre pour établir l’égalité entre eux.

Tout cela montre qu’aujourd’hui le combat n’est pas fini et que le féminisme est encore et toujours d’actualité. Il faut se battre pour l’égalité femmes-hommes, il faut se faire entendre contre les discriminations liées à l’orientation sexuelle et n’avoir pas peur de le dire : de la même manière qu’on devient femme, on devient homme, et cela n’est pas inné, c’est un acquis du social qui entraîne des préjugés et des discriminations au quotidien.

Luttons pour l’égalité !

Pour aller plus loin :

Les documents cités :

Autre document :

  • Sur le genre: un petit livre très facile à lire et qui explique clairement la notion de « genre » dans les sciences sociales : La différence des sexes, Françoise Héritier, Bayard, coll. « Les petites conférences », 2010.

Le collectif Debout ! – collectif féministe, nancéien et mixte
www.collectif-debout.org
contact @ collectif-debout.org
Réunions le 2ème mercredi de chaque mois, de 19h30 à 22h, au Comoglio’resto, 3 rue de l’île de Corse à Nancy, dans la salle de réunion.

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