Je reviens d’un camp de jeunes féministes d’Europe : une semaine entre jeunes féministes radicales, une semaine d’échanges, de partages, de vie en mode auto-gestionnaire, une semaine entre femmes … Et quelles femmes !
Des féministes d’Arménie, de Pologne, du Portugal, de Galice, du Pays Basque, de Macédoine, de Suisse, de Belgique, de France, du Brésil, du Québec, du Chiapas, de Roumanie… Avec toutes en commun ce désir de lutter contre la domination masculine dans nos sociétés et de nous fédérer pour avoir plus de poids, pour agir ensemble et étendre notre lutte.
Une semaine à n’employer que le pluriel féminin [A ce moment, je dois reconnaître que cela n’était pas évident car la force de l’habitude du masculin pluriel a persisté tout au long du camp par moments] ; une semaine à se re-questionner sur le genre, la sexualité, la prostitution, le travail… le monde qui nous entoure et dans lequel nous vivons finalement ; une semaine à échanger des pratiques d’auto-défense, de débat démocratique, de ré-appropriation de nos corps, d’analyse, de communication … [attention listes non-exhaustives!]
Et en point d’orgue la rédaction d’un texte politique commun à retravailler dans nos pays [Découverte d’une certaine « fracture » entre l’est et l’ouest de l’Europe, au sujet du rejet du capitalisme et de son lien avec le patriarcat particulièrement], une manifestation haute en couleurs dans les rues de Toulouse [Slogans en anglais, espagnol et français principalement, ambiance festive…] et une grande fête [Un véritable lieu d’expression du féminisme alcoolique, concept que je ne maîtrise pas encore malgré ma maîtrise des deux concepts séparément] …
Je ne trouve pas de mots pour décrire la force d’une telle expérience, sa richesse surtout.
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Être sans hommes, be without men… That was really great ! [Oui, nous avons beaucoup parlé anglais]
La non-mixité peut paraître une voie extrême – fermée à certainEs et pourtant quelle semaine riche en partage et ouverture !
Nous avons trouvé dans l’espace non-mixte créé par ce camp un réel espace de confiance, d’expression et de partage :
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Plus de 60 femmes variées en tant de points et prêtes à échanger ensemble, se comprendre, et s’allier dans la lutte contre le patriarcat et l’hétéro-sexisme.
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Plus de 60 femmes libres du regard et de l’emprise masculine durant une semaine.
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Plus de 60 femmes poilues/non-poilues, avec/sans soutient-gorges, cheveux courts/longs/…, en pantalons/shorts/jupes/robes/…, en tongs/baskets/escarpins/bottes/…, lesbiennes/bi/hétéro/…, chômeuses/salariées/universitaires/étudiantes/mères/…, … , toutes bien loin du stéréotype de la féministe anti-hommes, moche, agressive et frustrée tant véhiculé.
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Plus de 60 féministes de tout les coins de l’Europe et même d’ailleurs.
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Difficile d’expliquer la force de ce mélange et la force de la non-mixité lors de ce camp :
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Des AG, des ateliers, des débats où chacune-toutes s’écoutaient et tentaient de comprendre ce que disait l’autre. [Dont un débat sur la prostitution calme et sans conflits, chose fort rare dans les milieu féministe parait-il!]
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Une vie quotidienne de partage des tâches qu’elle soient marquées du genre masculin ou féminin. [mémorable séance de débouche-évier et inoubliables séances de vidanges des toilettes sèches et de cuisine collective !]
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Des échanges marqués par le respect et l’absence de domination. [J’avoue à m’être attendue à plus de rapports de domination entre femmes mais notre réel désir d’absence de domination entre individuEs a été plus fort]
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Un moment réel d’émancipation des femmes dans notre société patriarcale.
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Des moments d’échanges informels faits de découvertes, de débats argumentés sans tentative de domination. [Quel débat extra-ordinaire à propos de l’anarchisme et de son application avec une féministe se définissant comme « liberal », le tout sur la base d’une maîtrise de l’anglais fort limitée et d’un féminisme alcoolique beaucoup moins limité]
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Des moment d’intimité et de partage, sans jugement et en confiance. [Sans oublier L. jouant du violon les pieds dans l’eau de la rivière, et M. et moi nous baignant et ricochant les pierres nues dans la fraîcheur du courant]
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J’évoquais entre crochets le débat sur la prostitution, j’ai pris de nombreuses notes lors de ce débat mais mon étourderie m’a fait perdre l’ensemble des notes prises lors du camp. [Je préfère accuser mon étourderie plutôt que moi, non mais!] Voici donc mes quelques souvenirs de ce débat, passés au filtre de ma subjectivité.
Globalement un large consensus s’est établi sur la revendication de la non-criminalisation des prostituées, c’était un point important pour nous toutes. La possible criminalisation des clients a également été abordée. Toutefois, un argument fort contre cette idée a été également soulevé : cela pourrait encourager une totale invisibilité des prostituées, avec les dangers inhérents à un enfermement encore plus important de celles-ci.
Par ailleurs, une large dénonciation et un refus de toutes les formes d’exploitations sexuelles étaient également partagé. Partagé également le fait de ne pas mélanger les termes de prostitution et d’exploitation sexuelle : Il existe de nombreuses formes d’exploitations sexuelles et la prostitution ne semble pas toujours pouvoir être considérée comme une exploitation sexuelle. C’est là qu’intervient la notion de « libre-choix » et que les argumentations développées ont pu diverger.
En effet, il semble assez facile de se positionner au sujet de la prostitution forcée. Si la personne se prostituant n’a pas choisi de le faire, il paraît essentiel de pouvoir la soutenir et l’aider à sortir d’une vie qu’elle n’a pas choisi. Toutefois, qu’est-ce qui peut nous permettre de définir le fait qu’une personne ait « réellement choisi » la prostitution ou non ? Certaines personnes revendiquent ce libre-choix, d’autres sont concrètement dans des situations de prostitution forcée, mais quid de la pression de la société patriarcale et de marchandisation sur les personnes revendiquant un libre-choix ? En définitive, la question de la réalité du libre-choix de façon générale étant un débat relativement métaphysique – à mon sens –, nous nous sommes appliquées à réfléchir et travailler sur les avancées concrètes que nous pourrions partager et revendiquer sur la thématique de la prostitution.
Ainsi, un large consensus s’est établi sur l’importance de la reconnaissance des prostituées comme travailleuses devant avoir les mêmes droits sociaux et le même droit du travail que les autres travailleuses. Nous avons également, ensemble, souligné l’importance de la dénonciation de la stigmatisation dont souffrent certaines prostituées.
Toutefois, ces revendications ne permettent aucunement d’éluder le débat opposant les partisanes de l’abolition et celles de la légalisation, sans oublier le large panel de positionnements intermédiaires possibles. Plusieurs pays ont déjà légalisé la prostitution. Certaines participantes au débat ont ainsi rappelé que ce type de législation n’avait pas toujours eu les effets attendus. Par exemple, en Allemagne, le croisement de la légalisation de la prostitution et de l’obligation d’emploi des chômeurSEs, a pu produire des effets « pervers » : certaines chômeuses pouvant se retrouvées dans l’obligation d’accepter une offre d’emploi de prostituée ; quid alors du libre-choix ?
La problématique abolition-légalisation-et-autres-opinions est une problématique complexe soulevant finalement de nombreuses autres questions dont voici quelques exemples :
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Si l’on considère la prostitution comme un « symptôme » de la domination masculine dans nos sociétés, quid de la prostitution masculine ? Mais la prostitution tournée vers des clients masculins n’est-elle pas la forme la plus fréquente de prostitution qu’elle touche les femmes, les hommes, les enfants ?
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Mais aussi, en quoi l’abolition de la prostitution permettrait de réelles avancées dans la lutte contre le patriarcat, disparaîtrait-elle réellement alors que la domination masculine de la société demeurerait ? L’abolition de la prostitution ne criminaliserait-elle pas encore plus les prostituées ?
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Par ailleurs, quelle différence entre « vendre » son corps à des fins sexuelles et vendre son corps à d’autres fins comme conduire, porter, nettoyer entre autres ? La prostitution est-ce vendre son corps ou vendre un service (comme un autre) ?
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Ainsi, la question de la « sacralisation de la sexualité » dans nos sociétés judéo-chrétienne peut être également soulevée : pourquoi considérer l’acte sexuel comme un acte de la vie quotidienne différent des autres ?
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Et pourquoi considérer que les hommes ont plus de besoins sexuels que les femmes ? En considérant que le niveau de pulsions sexuelles homme-femme soit égal, pourquoi les hommes auraient « besoin » d’assouvir leurs besoins sexuels en rémunérant des femmes alors que ces dernières semblent être capables d’assouvir leurs besoins sexuels par ailleurs, via la masturbation par exemple ? Mais aussi pourquoi les femmes ne rémunéreraient pas des hommes à des fins sexuelles ?
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Le mariage n’est-il pas la première forme de « prostitution » : « se marier c’est avoir un client pour la vie » ? Devons-nous réclamer l’abolition du mariage ?
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Et surtout, comment avoir un débat sur la prostitution alors qu’aucune prostituée n’est présente ? D’ailleurs rien ne dit que c’était le cas …
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